Les chirurgiens de la colonie

7 mars 2017

En Nouvelle-France, les médecins et les chirurgiens-barbiers prodiguent les soins de santé. Plus instruits, les premiers s’occupent des pathologies internes. Ils étudient en latin dans les universités européennes et bénéficient d’une plus grande reconnaissance sociale. Ne jouissant pas d’une formation universitaire, les chirurgiens-barbiers s’organisent, à l’époque de la Nouvelle-France, autour de corporations de métier. En plus grand nombre dans la colonie, ils soignent les maladies externes (amputations, chancres, saignées, cautérisation des plaies). Pourquoi un tel clivage existe-t-il entre la chirurgie et la médecine, deux disciplines pourtant si connexes? Cette scission s’explique en remontant l’histoire jusqu’au Moyen-Âge. L’Église voit alors d’un mauvais œil le mélange entre le sang et la spiritualité! Découvrez le parcours des premiers chirurgiens de la colonie.

De métier à profession

Jusqu’au 12e siècle, en plus de pratiquer la médecine, certains ecclésiastiques manient le scalpel. En 1163, le concile de Tours leur interdit cependant la pratique de la chirurgie, jugée trop meurtrière. Plusieurs années plus tard, l’Église bannit la chirurgie des universités, alors sous sa gouverne. On souhaite assurer le respect de cet interdit.

Au XIIIe siècle, les chirurgiens se regroupent en corporation au Collège de Saint-Côme sous la tutelle de deux saints : Saint Côme et Saint Damien. Plus lettrés, les chirurgiens dits « de robe longue » souhaitent ainsi se distinguer des chirurgiens-barbiers dits « de robe courte ». Ces derniers pratiquent les actes plus simples, « les pansements des simples tumeurs & des furoncles » ou encore les saignées. (Lessard, 2012 : 265). Menacée par les progrès de la chirurgie depuis Ambroise Paré (1510-1590), la Faculté de médecine de l’Université de Paris exige, en 1656, la fusion des corporations de chirurgiens et de barbiers. Elle place cette nouvelle corporation sous son autorité.

Dans une correspondance, Guy Patin, le doyen de la Faculté de médecine, qualifie avec mépris les chirurgiens de « laquais bottés », de «petits maîtres qui portent des moustaches et brandissent des rasoirs» (D’Allaines, 1967 : 47). En 1686, Louis XIV se fait opérer pour une gênante fistule anale. L’opération est un succès. Le chirurgien du roi, Charles-François Félix, reçoit un généreux montant de 300 000 livres en plus d’être anobli. Cet événement contribuera à redonner tranquillement ses lettres de noblesse au métier de chirurgien.

En 1743, à Paris, une proclamation royale annule officiellement la fusion entre les chirurgiens et les barbiers. Louis XV déclare alors que la «chirurgie est un art scavant et une vraye science» (Rheault, 2004 : 17). Revoilà la chirurgie à l’Université…

«Faire les poils» et extraire les mauvaises dents!

En Nouvelle-France, la frontière entre le métier de chirurgien et la profession de médecin est très poreuse. Les médecins sont une denrée rare. Nombreux sont ceux qui s’affichent médecin sur papier sans réellement avoir obtenu un diplôme universitaire! Robert Giffard se présente comme médecin à Québec dès 1648, mais il ne semble pas être diplômé de médecine; il serait plutôt chirurgien de formation. Les chirurgiens-barbiers sont plus accessibles pour la population de la colonie. Il en coûte même beaucoup moins cher d’avoir recours à leurs services. Ils se retrouvent en grand nombre dans les campagnes, mais également dans les villes. Au Canada, de nombreux chirurgiens possèdent rasoirs et bassins à barbe. Il peuvent alors «faire le poil» et pratiquer la chirurgie en même temps! Le rasoir et le plat à barbe exposés en vitrine dans le Musée du Monastère nous rappellent cette époque.

Les chirurgiens de la colonie
Rasoir, première moitié du 20e siècle
© Collections du Monastère des Augustines

Une bonne partie des chirurgiens arrivant à Québec pendant le Régime français étaient soit chirurgiens militaires ou chirurgiens de la marine. Le coffret à chirurgie exposé au Musée du Monastère nous ramène à cette époque. Selon la tradition orale, il aurait été utilisé sur les champs de bataille des plaines d’Abraham! Tout au long des 17e et 18e siècles, de nombreuses critiques s’élèvent toutefois devant la faiblesse de la formation et le fort taux d’analphabétisme des chirurgiens. Ce n’est qu’en 1788 que l’application d’une règlementation de la pratique commence. Une ordonnance du gouvernement britannique mène alors à une professionnalisation du corps médical.  Sous peine d’amende, ou encore d’emprisonnement, les praticiens devront, entre autres, prouver leurs connaissances du latin et de leur langue maternelle devant les représentants du gouvernement afin d’exercer leur art.

Les chirurgiens en colonie
Coffret de chirurgie, milieu du 18e siècle
© Collections du Monastère des Augustines

Le chirurgien à l’Hôtel-Dieu de Québec

À une époque où l’anesthésie n’existe pratiquement pas, on prise le chirurgien pour sa rapidité d’exécution; la douleur étant une réalité au sein de l’hôpital! Sous les bons soins de l’hospitalière et du chirurgien, les patients sont opérés dans la salle des malades. Ils reçoivent quelques gouttes d’alcool pour soulager les douleurs. Bien avant la révolution pasteurienne du 19siècle menant à la découverte de l’asepsie et de l’antisepsie, les instruments de chirurgie étaient loin d’être stérilisés avant chaque intervention. Les archives du Monastère n’indiquent pas la présence d’une salle d’opération au sein de l’Hôtel-Dieu de Québec avant 1892. À cette date, on l’inaugure dans le tout nouveau pavillon d’Aiguillon (détruit aujourd’hui). Afin d’en apprendre plus sur le chirurgien-barbier en Nouvelle-France, je vous invite à visiter l’exposition permanente du Musée du Monastère et sa salle dédiée aux soins de santé!

Sources 

  • Claude D’Allaines, Histoire de la chirurgie, Paris, Presses universitaires de France, 1967, p. 28-64.
  • Rénald Lessard, Au temps de la petite vérole, la médecine au Canada aux XVIIe et XVIIIe siècles, Québec, Éditions du Septentrion, 2012, p.264-403.
  • Rénald Lessard, Se soigner au Canada aux XVIIe et XVIIIsiècles, Hull, Musée canadien des civilisations, 1989, p. 19-42.
  • Rénald Lessard, « Un chirurgien québécois du XVIIIe siècle », Cap-aux-Diamants, vol.1, no 1 (printemps 1985), p.41-42.
  • Marcel J. Rheault, La médecine en Nouvelle-France. Les chirurgiens de Montréal, 1642-1760, Québec, Éditions du Septentrion, 2004, p. 13-19.
  • François Rousseau, La croix et le scalpel. Histoire des Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1989 p. 99-100.