Lettre de 1918 à propos de la grippe espagnole

6 avril 2020

Le portail web des archives du Monastère des Augustines offre la chance à tous de retracer l’évolution des soins de santé, de l’agriculture, de la vie communautaire et du commerce, depuis les premiers temps de la colonie.

L’équipe du Monastère a déniché un témoignage très touchant daté de 1918 rédigé par une augustine du monastère de l’Hôtel Dieu de Québec. Il s’agit d’une lettre destinée à la famille d’une augustine. Cette dernière est décédée de la grippe espagnole après avoir soigné l’un des premiers malades atteint de cette maladie.

Retranscription d’une lettre de 1918 faisant mention de la grippe espagnole

Notice biographique de notre chère Soeur

SAINT-ANSELME (LAUNIÈRE)

… L’épidémie qui devait faire tant de ravages à Québec – et dans tous les pays, je dirais – ne s’était révélée à notre connaissance que par quelques soupçons que semblait avoir le médecin de service dans le cas d’un patient de notre hôpital. Le malade succomba, en apparence à la pneumonie, en réalité à la grippe dite « espagnole » (qui a fait bon marché de la nationalité, cependant, dans le choix de ses élus …) Et ma soeur Saint-Anselme, infirmière dans cette salle de médecin, tombait foudroyée par la maladie deux jours plus tard, le 23 septembre. Son état se compliqua immédiatement par le fait d’une affection cardiaque dont souffrait notre chère enfant depuis quelques années à la suite de rhumatisme. D’ailleurs elle n’eut pas un instant d’illusion. En entrant à l’infirmerie, elle me disait : « Ma mère, je suis bien malade … je crois que le bon Dieu va venir … » et devant les espérances que nous voulions conserver : « Je suis prise … croyez-le … C’est absolument comme le jeune malade que j’ai soigné … et, que j’en suis heureuse! C’était mon rêve le plus cher de mourir au service de nos pauvres … le Sacré-Coeur va l’exaucer ! »S’oubliant totalement pour penser à ses soeurs et à toute la communauté : « Ce mal est contagieux, ajouta-t-elle, je ne verrai donc pas mes compagnes … Je fais ce sacrifice et surtout je fais de tout mon coeur le sacrifice de ma vie afin que toutes les autres soient épargnées! » Héroïque enfant! sa demande fut entendue : 57 des nôtres devaient être atteintes après elle – plusieurs sérieusement – elle seule fut victime selon sa prière, victime agréable au Divin Maître certainement, puisque c’était celle de la charité, de la charité hospitalière si je puis m’exprimer ainsi, et de la charité fraternelle. – Pendant les huit années de sa vie religieuse depuis sa profession, Soeur St-Anselme fut employée à la pharmacie, à la lingerie et à la roberie, aux salles de chirurgie et médecine chez les hommes : Fervente, soumise, condescendante, toujours prête à rendre service, voilà ce qu’elle fut dans ces différents offices et la satisfaction qu’elle y donna me permettait d’écrire à sa Révérende et très digne soeur, religieuse chez les Soeurs de la Charité et Supérieure dans une importante mission : « Nous aimions votre petite soeur non seulement parce qu’elle était notre enfant mais parce qu’elle était une vraie religieuse possédant l’esprit de sa vocation, et une hospitalière comme il en faut auprès des malades, toute à son devoir, bonne et dévouée, ne comptant jamais avec la peine ou la fatigue.» Aussi son départ fut-il sensible à nos coeurs, mais pourtant bien consolant à nos âmes. Il est difficile de rencontrer plus de perfection à l’acceptation de la maladie et de la mort avec des circonstances aussi particulièrement marquées du sacrifice. Jusqu’à la fin et malgré la souffrance, son meilleur sourire nous accueillait toujours … Elle ne cessait de prier, de nous assurer de son bonheur de mourir et, renouvelant l’offrande de sa vie pour sa communauté et pour la paix, elle suppliait la Sainte Vierge de venir la chercher et de la présenter Elle-même au Sacré-Coeur. Mon Jésus, disait-elle, je ne suis pas digne de vos grâces, mais c’est plus fort que moi … j’ai confiance en votre Coeur! … Elle expira avec ces sentiments de tendre confiance à 11.30 le 27, dans la nuit de vendredi à samedi. Je lui fermai les yeux en pensant Notre-Seigneur récompensait déjà sa petite épouse et fidèle de mon Coeur, en l’appelant à lui sur les derniers instants du vendredi, presque à la première heure du samedi, afin de satisfaire pleinement son désir d’être présentée à ce Divin Coeur envers qui elle eu une grande dévotion, par sa bonne Mère du Ciel qu’elle avait priée avec tant de ferveur : N’avais-je pas déjà recueilli sur ses lèvres le pieux et naïf aveu que le Sacré-Coeur lui avait accordé tout ce qu’elle lui avait demandé …? Notre chère petite Soeur Saint-Anselme (Mademoiselle Blanche Launière) était d’une très honorable famille de la paroisse de Chambord, Lac St-Jean. Entrée en religion à l’âge de vingt ans, elle rendait son âme à Dieu dans sa trentième année.

Lettre de 1918 à propos de la grippe espagnole