Protéger un patrimoine archivistique, une question de confiance

10 mai 2018

Le legs d’un patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel, repose sur une émotion importante, voire une attitude ou un état d’esprit : la confiance. Les Augustines ont fait don du monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec ainsi que des dizaines de milliers d’objets et de documents d’archives avec l’assurance que leurs intentions immatérielles soient respectées et surtout préservées pour les générations à venir. La Fiducie du patrimoine culturel des Augustines a été créée pour cette raison. Toutefois, derrière une telle structure légale se trouvent aussi des êtres humains, notamment des archivistes, dont le rôle est de protéger, de classer, mais aussi d’interpréter les documents légués à la Fiducie. La confiance que portent les religieuses envers les archivistes est remarquable. Ce texte propose une synthèse à ce sujet, dont les propos viennent des archivistes mêmes. Il y est aussi question du contexte dans lequel cette confiance s’inscrit, du devoir de mémoire et de protection du patrimoine que peuvent ressentir les archivistes dans le cadre de leurs fonctions.

Transmettre le flambeau

Actuellement, au Centre d’archives du Monastère, seulement deux archivistes ont eu le privilège de travailler quotidiennement avec les Augustines. L’archiviste Chantal Lacombe travaille pour les Augustines depuis 2011. Elle raconte la remise du flambeau par l’ancienne directrice des archives, sœur Claire Gagnon, où cette dernière a littéralement partagé son sentiment de confiance en elle pour la suite des choses. Mme Lacombe affirme toujours penser à cette religieuse – qui est d’ailleurs encore disponible pour aider, au besoin – afin de traiter les documents avec une certaine importance. Elle se remémore que sœur Claire Gagnon a une excellente mémoire; elle savait, par exemple, qu’un document particulier était dans telle boîte jaune, dans tel classeur. Aujourd’hui, les méthodes de classement et de conservation sont bien différentes, mais on ressent l’inspiration que cette religieuse a sur le travail de sa successeure.

L’archiviste du monastère de l’Hôpital général, Audrey Julien, va dans le même sens au sujet de la confiance. En fait, elle parle même d’un rapport d’amitié avec la directrice du monastère, sœur Hélène Marquis. « Ce n’est pas un rapport employée-employeur », dit-elle. Mme Julien croit aussi que les religieuses les voient, elle et Mme Lacombe, comme des membres de la famille. Elle affirme que la confiance fait d’emblée partie du métier. Le fait que les Augustines s’intéressent à leur travail d’archivistes a sans doute un effet dans la relation.

De gauche à droite: Josée Laurence, directrice Diffusion et conservation, Audrey Julien et Annie Labrecque, archivistes, Sara Bélanger, responsable du Centre d’archives, Chantal Lacombe et Annick Tremblay, archivistes.

Un contexte de transition particulier

Le nombre d’augustines au Québec a commencé à baisser depuis déjà plusieurs années. Le passage du patrimoine d’une communauté religieuse à une communauté laïque est en soi un moment historique. En effet, une telle transition n’est pas anodine, puisque la communauté a pris le soin de s’assurer que leur mémoire perdure. Annie Labrecque, archiviste du monastère de Chicoutimi mais travaillant au Monastère, affirme d’ailleurs qu’elle joue un rôle de « courroie de transfert » entre le responsable des archives, un professionnel situé sur place à Chicoutimi, et elle, située à Québec. Elle s’assure que le transfert se fasse entre la communauté et le Centre d’archives du Monastère.

Avec certains projets en développement, comme un portail Web, Mme Labrecque contribue à ce que la diffusion de certains trésors se fasse selon les règles de l’art archivistique. Selon elle, il est important que des professionnels s’occupent de cela, notamment pour respecter les normes et les lois liées au domaine. Elle réitère la question de la confiance qu’ont les religieuses envers les archivistes du Monastère. Les Augustines sont d’ailleurs conscientes qu’il est important d’engager une archiviste plutôt qu’une personne d’une autre spécialité.

Le Centre d’archives du Monastère des Augustines contient plusieurs livres anciens en très bon état de conservation.

Un devoir de mémoire

Si la vie de religieuse hospitalière était une vocation, la vie d’archiviste en est souvent une de devoir. Un devoir de mémoire plus précisément. « Un jour, dit Audrey Julien, les religieuses ne seront plus présentes. » Dès lors, il y a là tout l’intérêt à prendre ce travail de protection et de diffusion à cœur. Selon elle, « il y a un devoir de mémoire envers comment les religieuses vivaient et interagissaient avec nous et les autres religieuses. »

Un rappel concernant Le Monastère et sa mission doit aussi être fait : l’ensemble tourne autour des Augustines. Sans elles, dit Chantal Lacombe, nous n’aurions pas accès à ce lieu et à ce patrimoine, si riches d’histoire.

L’archiviste rappelle aussi que les Augustines avaient déjà développé certains des services toujours offerts aujourd’hui par Le Monastère. Elle nomme, entre autres, le service d’hôtellerie. En effet, il était possible de coucher au monastère à faible coût. Il y avait aussi un musée.

Recueil regroupant des correspondances de France, 1694-1878.
© Archives du Monastère des Augustines

Un devoir de protection

La question de la protection des documents d’archives est centrale pour le travail des archivistes du Monastère. Selon Sara Bélanger, responsable du Centre d’archives, conserver des archives demande du matériel archivistique spécifique. À cela s’ajoutent des conditions environnementales particulières pour conserver les archives. Tout cela dans le but d’assurer la pérennité des documents.

En guise d’exemple, l’archiviste Annick Tremblay décrit l’importance de fabriquer des boîtes d’entreposage avec des matériaux spéciaux, comme du papier non acide. Cela permet de protéger un livre ancien datant de 1665 ou un autre de 1744. Selon elle, une telle boîte offre la possibilité de transmettre adéquatement ces ouvrages aux générations futures. De plus, au cas où une œuvre doit être restaurée chez un spécialiste, une boîte fabriquée selon les standards archivistiques permettra un transport sécuritaire.

Un exemple de boîte de transport fabriquée par l’archiviste Annick Tremblay, qui contient des lettres patentes, datées de 1819.

Mme Bélanger affirme que les fonds d’archives du Monastère sont possiblement uniques, du fait de leur incroyable état de conservation. En plus de remettre leur confiance en des laïques, les Augustines ont remis des archives de qualité. « Cela donne l’impression que les documents ont été rédigé hier, dit-elle, et non il y a 200 ans. » Il est donc avantageux de poursuivre le travail des religieuses afin que les chercheurs actuels et futurs puissent avoir le privilège de consulter des documents dont l’intégrité est exemplaire.

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Le legs des Augustines ne saurait avoir sa valeur patrimoniale actuelle sans ce sentiment de confiance que ressentent les religieuses envers leurs successeures. Cette confiance justifie d’ailleurs cet esprit du devoir de mémoire et de protection qui anime l’équipe du Centre d’archives du Monastère. Les membres de cette équipe accordent une grande importance à cette confiance, qui anime à son tour le désir de transmettre aux générations futures les trésors qu’ils côtoient quotidiennement. Un métier de l’ombre dont on ignore souvent l’importance réelle et tangible sur l’accessibilité de l’histoire du Québec.

Hugues St-Pierre